Sonia Reboul

ARTICLES ET BLOG – HYPNOSE ET THéRAPIE – COUPLES ET SeXUALITé

Pourquoi écrire lorsqu’on est une femme

Pourquoi écrire lorsqu’on est une femme est un geste (toujours) politique

Et pourquoi mes mots pourraient mériter s’inscrire quelque part, même sur un support virtuel, c’est plus diffus, on pourrait penser qu’ils prennent alors moins d’importance, qu’ils utilisent moins de place dans le monde, qu’ils ne permettent pas de salir des feuilles blanches, ou quadrillées. J’ai un peu peur d’écrire. De commencer. Mon sujet change, s’enfuit, et je ne m’y investis pas. Mes mots restent en moi alors qu’ils pèsent très lourds et que je ne sais pas ni à qui ni comment les exprimer. En fait, non plus qu’un support, j’ai peur des personnes qui pourraient m’entendre, ou croire que je souhaite qu’elles m’écoutent. Et que je les ennuie. Par mes mots, mon style. Triste, rabâcheur, redondant. Un style en trois temps c’est désuet et ça n’est pas très à la mode. Loin d’être percutant, déroutant, engageant, non plus que les phrases, les unes derrière les autres qui s’abstraitent toutes seules. Sans sujet encore car le sujet m’échappe, le sujet est tous les sujets, tous les sujets dont j’ai envie de parler et qui s’effacent car ils se mélangent, tous souhaitant être dis en premier sans ordre, sans attente, sans retenue et finalement, aucun n’est pensé : ils affleurent, se bousculent et repartent. Ils flottent dans ma tête avec leurs émotions et restent et pèsent. Parce que ça pèse des mots qui ne sont pas dis, surtout les mots des femmes. Tous ces mots de toutes ces femmes qui n’ont jamais été dis, qui ont été tus, ravalés, étouffés, trop criés et hurlés dans le vent ou sous l’orage, qui ont terminés en sanglots ou en pleurs de sang. Toutes ces phrases et ces pensées que l’histoire des hommes a niées, effacées, copiées, plagiées, volées. 

C’est ça ma peur d’écrire? Que mes mots sous un nom féminin n’existe qu’aux travers des lectrices et des yeux féminins, que les hommes relèvent mes phrases au rang de salope féministe, de plaignante pleureuse, de frigide délétère, de petite connasse rabâcheuse. Et d’ailleurs pour écrire quoi? Des histoires de femmes? Des histoires de filles? Des histoires bas de gamme? Il suffit de regarder quelque peu en arrière pour comprendre de quoi je parle là. Les femmes dans la littérature, ce sont les femmes dans le monde : vues encore et encore par, avec, à travers le regard des hommes. Ou à travers le spectre du patriarcat. Comment écrire en tant que femme sans cela? Comment élever ma pensée au delà du féminin politique, du masculin sociétal, de la lutte et des prises de conscience des dernières années. 

Rien n’est joué tant qu’une femme qui souhaite dire des mots se heurte, en conscience, à ce plafond de regards dévalorisants, dévastateurs, moqueurs? Quel sujet n’est pas féminin, ou politique. Quel sujet vivant, disible a besoin d’être posé par des mots sur du papier que des êtres humains, et peu importe leur genre, race, appartenance, prendront plaisir via l’émotion à lire, à suivre, à penser? 

Alors oui, certainement qu’écrire, lorsqu’on est une femme est un geste éminemment politique. Puisque la parole des femmes aujourd’hui est traquée, attendue, scrutée, détaillée, parfois élevée aux nues sans raison, ou abattue en vol sans plus de raison d’ailleurs, selon quels critères, c’est certainement la question? Politique, bien sûr. Car pour écrire, vaut mieux être toujours blanche, jeune, cys hétéro, de gauche et des beaux quartiers. Connaitre quelques journalistes du bon milieu parisien également. Peu d’autrices, de podcastrices, d’auteures, de journalistes sortent de ces cases, débordent le cadre, ou bien leur voix doivent être hurlées pour avoir une place. Politique, toujours, lorsque les décideurs amènent un regard toujours moralisateur et préservateur sur les textes qui vont au-delà de la bienséance. Lorsqu’on dit ce qui ne va pas, ce qui fait tâche, ce qui est grossier. Une femme qui dit le vrai des relations, qui déroulerait le toxique des mères, des amies, des plans q, des gosses, de la villa et du chien, une femme qui écrirait comment toutes on a toutes appris à simuler et qu’on le fait bien, qu’on aime pas forcément les roses et passer nos samedis à s’épiler la chatte entre copines, qu’on peut détester s’occuper de votre enfant, qu’en plus il vous ressemble, qu’on peut juste vouloir se masturber seule dans la douche que de supporter votre sacro-sainte pénétration, qu’on s’interdit trop souvent des fantasmes, des mots crus, des envies, des désirs, qu’on fait trop souvent semblant, sans même le savoir, d’aimer faire les magasins, se maquiller et devenir cette image ridicule d’objet sexuel faite pour vos yeux trop occupés à réfléchir à quel odeur peut avoir notre sexe. Oui, alors politique, une parole qui voudrait exprimer simplement ce qui peut se dire en vérité. 

Ai-je envie d’une parole, de textes, de romans politiques car féminins? Que serais-je si mes mots sortaient sous un pseudo masculin, un amalgame de moi, et d’ailleurs, aurais-je moins peur si ma part masculine, mon yang, le mâle en moi choisissait lui un sujet et simplement écrivait, sûr de lui, étant l’homme, le neutre de ce monde. Un homme qui écrit a-t-il peur de ce qu’il va pouvoir écrire? Ces hommes qui ont depuis des siècles écrit les hommes, et surtout écrit les femmes, ont-ils eu peur de leurs mots? Étaient-ils conscients de la portée d’une Emma, d’une Anna, d’une Gervaise, ou d’une Nana? Savaient-ils que leurs héroïnes allaient régner et dégénérées, imprégner de leur marques patriarcales des générations de lectrices qui se pâment? Freud aurait-il mieux compris ce continent noir de la sexualité féminine si des femmes, depuis l’avènement de l’écriture, avaient pu se dire, se raconter, s’exprimer? Existerait-il aujourd’hui ce féminin politique qui ne sait s’exprimer sans l’être (politique) si les sorcières avaient continué à exister? Est-ce que les femmes atteindraient mieux leurs désirs, leurs plaisirs, leurs orgasmes si, enfin, la littérature disait leur Vrai. Et que cette littérature de la vérité des femmes était lue, mise en avant, simplement reconnue?

Et pour que cela advienne, écrire, dire ce qui est là, ce qui depuis que la parole se libère, pèse si lourd sur le coeur, la poitrine, le ventre et le sexe des femmes. Dire ce qui se diffuse aujourd’hui dans nos veines, nos corps violentés, regardés, violés, frappés, commentés, moqués, utilisés, achetés, bradés, mis en avant, touchés, nos corps qui ne nous appartiennent jamais totalement, malgré nous. Dire tout cela, les trop, les violences, les pas assez, les trop, les ras-le-bol, les désirs et plaisirs inconscients, les ravages des femmes entre elles, des mères et des filles, des copines, et des rivales aussi. Dire ce monde où le neutre reste la masculin et où la femme reste ce deuxième sexe. Dire ce monde pour que mon sexe soit juste un sexe, que mon clitoris ait la même valeur intrinsèque qu’un pénis. Ni plus, ni moins. Jusqu’à fantasmer, telle une sorcière d’aujourd’hui, que mon clitoris puisse devenir le neutre. 

Et rêver ce monde. 

 

Hypnose et thérapie – Sexothérapie – Individuel et couple

© Tous droits réservés Sonia Reboul Hypnose Psychothérapie