Ou comment la jungle devient un cauchemar.
Evidemment, nous sommes des animaux. Enormément de choses en nous nous ramènent à cette évidence. Réflexes, comportements, peurs, fonctionnements. Nul besoin d’exemple. Même si des siècles de lumières éblouies ont souhaité nous éloigner de ce fait, c’est un fait : nous sommes des animaux. Et nous sommes cruels, davantage cruels encore parce que nous sommes dotés d’une intelligence et d’une capacité de réflexion. D’ailleurs, beaucoup d’entre nous apprennent cela très jeunes. Dès la cour de récré on apprend de la cruauté.
J’ai mis longtemps, de nombreuses années avant de poser le mot Harcèlement sur mes années de primaire et de collège. Ce n’est pas un mot qui était aussi employé et médiatisé qu’aujourd’hui. On ne parlait pas de ça quand j’avais 8 ans, 10 ans, 13 ans. On ne parlait pas. Personne ne disait mot d’ailleurs. Ni les instits, ni les profs, ni le CPE. Tiens, remontée de flashs sur le Cpe du Collège. Je me souviens, que, convoquée dans son bureau comme si j’étais la fautive, il m’avait demandé si « j’aimais ça »? Imbécile.
Que peut répondre une petite fille de 12 ans qui jouait encore à la Barbie face à cet afflux de testostérone mal contenue? Qu’elle voudrait s’arracher ce corps qu’elle ne reconnait pas comme le sien? Qu’elle ne voulait pas de seins, de hanches, de sang entre ses cuisses. Qu’elle ne voulait pas ces cuisses épaisses et ces épaules et ces reins. Qu’elle n’avait jamais rêvé de cela lorsqu’elle jouait, en paix, petite et solitaire. Ça ne faisait pas partie de son plan ces attraits féminins, ni ce décalage de temps, ce décalage de rythme, ce décalage d’envie. Rien n’était prémédité, pensé, et tout était joué : elle était la seule accusée.
Pas d’avocat, ni de défenseur, seule. Encore plus isolée qu’auparavant.
Il me reste une photo de maternelle. Déjà, je suis juste à côté du groupe et je regarde ailleurs. C’est parfois le cas sur les photos qui vont suivre. Sauf lorsque je suis rentrée dans le cadre « comme les autres ». Par la peur. Et j’ai peu de souvenirs de ces moments. Au Cp, je me souviens de ma solitude, et en classe et dans la cour. Dès le CE1, quelque chose s’est initié. Est-ce moi qui est changé, est-ce les autres? C’est certainement un mélange de tout cela. Ça a commencé là. Des moqueries, des bousculades, des mises à l’écart. Je ne disais trop rien, je crois, je ne suis pas sûre d’avoir compris, ou réalisé ce qui se passait. J’étais une petite fille heureuse avant tout ça. Et là, quelque chose s’écroulait. C’était pas une période gaie à la maison non plus.
Je me demande souvent quelle est la raison pour laquelle je ne réagissais pas, je ne pensais même pas ces faits, ni les leurs, ni les miens. Comme si quelque chose m’empêchait de consciente tout cela. Ce qui est bien, c’était que internet et les téléphones portables n’existaient pas. Je rentrais à la maison, dans ma campagne, avec mes chats et mes chiens, dans ma chambre et j’étais seule. Enfin seule. Bon, évidemment, ça n’était pas si simple : le petit frère déchargeait son mal-être sur moi, et moi sur lui puisqu’il ne me laissait pas seule. Ma mère déchargeait son mal-être sur tout le monde. Et mon père je sais pas trop.
Où j’ai mis tout cela? Où est-ce que j’ai fait passer ces blessures et ces maux. Je n’ai rien écrit, je n’ai rien pensé. Tout est-il encore à l’intérieur? Encore. Une haine terrible. D’une certaine « humanité ». Une résistance à la bêtise humaine que je vois grandir chaque jour. (C’est quoi cette chaine de posts sur Facebook après l’annonce ultime de contenu sans pub??!? Réfléchissez! Informez-vous! Ne suivez pas!)
J’ai fait grandir une force immense et une capacité à avancer. Malgré eux, malgré les cicatrices et les blessures qu’ils ont cru m’infliger.
Est-ce qu’ils en sont ressortis grandis? Les filles (les plus nombreuses!) et les garçons qui m’ont mise à l’écart? Dans leur plaisir? Leur confiance en eux? Leur capacité à aimer leurs filles aujourd’hui? A éduquer leurs enfants dans le respect de soi et des autres?
Clairement, je m’en fous. J’aurais pu leur souhaiter le pire. Une partie de moi le fait encore, c’est très bien. Extériorise. Beaucoup d’eux n’ont pas la vie très heureuse aujourd’hui. Tout se sait dans les petits villages. J’ai regardé Batman Begins hier. Je ne l’avais jamais vu. Ils parlent de Colère, de Vengeance, d’Action. Une partie de ma colère m’a permis d’être qui je suis. Elle m’a permis d’avancer. Et de me respecter. Et de m’aimer. Inconditionnellement. Je me suis pardonnée et me pardonne encore mes erreurs et mes errances. Je suis la seule à pouvoir le faire. Et à me foutre la paix. Chaque jour.
Je n’ai pas réfléchi à ce qui m’a placée en harcelée, dans le rôle de la victime. J’y réfléchis aujourd’hui. 40 ans plus tard. Car ce sentiment de vivre en décalage m’atteint plus fort peut-être? Ou alors, il semble légitime aujourd’hui? Evidemment, je n’ai plus peur de ne pas être intégrée, de pas savoir comment rejoindre un groupe, être dans la bonne case, j’ai toujours peur des groupes, et de ne pas savoir comment me comporter pour qu’ils ne m’attaquent pas. Je ne sais même pas si j’ai envie de changer cela. Je peux vivre aujourd’hui dans ma case à moi, même si parfois j’y suis seule. C’est ok. J’aime bien ça. Je suis bien comme ça. J’ai créé un bout de vie où mon esprit peut réfléchir et dire ce qui lui passe par la tête sans être jugée. J’ai crée un bout de paradis où mes émotions – toutes!- peuvent être exprimées, comprises, validées. J’ai créé autour de moi un cercle restreint réconfortant, apaisant, doux et tendre. Et je suis fière de moi.
Je n’ai jamais rejeté mon esprit. J’ai toujours accepté ma manière de réfléchir, la vitesse de mon cerveau, sa capacité à faire des liens, à apprendre. J’ai toujours accepté l’intensité de mes ressentis, de mes sensations, de mes émotions. Si c’est là, si ça pense comme ça, si ça émotionne comme ça, si ça ressent comme ça c’est que c’est normal! Aujourd’hui, en me connaissant chaque jour davantage, j’apprends encore plus à utiliser cela. A m’utiliser. A bon escient. Et puis aussi, ça m’aide. A m’aimer entièrement.
Je m’habitue chaque jour à mon corps et essaie de le vivre comme je vis mon esprit. Cela, oui, c’est difficile. Ça n’a jamais été simple. J’apprends. J’ai pourtant décider de lui foutre la paix, de me foutre la paix. De faire la seule chose que je souhaitais pour moi à 8 ans : qu’on me foute la paix.