Je suis pas très bien depuis quelques jours.
Non, je mens, depuis très longtemps. Sauf que ce n’est pas tous les jours. C’est parfois. Mais depuis très longtemps. J’ai mal à une dent aussi. Elle pourrit de l’intérieur. C’est infecté. A l’intérieur. Sous la dent. Je sens pulsé le pus à l’intérieur et le pus veut tellement sortir que ça tire, ça tire, ça tord et hurle de douleur. Les dents c’est terrible. On peut plus difficilement faure abstraction d’un rage de dent que d’une entorse, une tendinite ou une infection urinaire. Quoi que… Je me souviens, petite. Quand on avait mal, qu’on était malade, il suffisait de se rendre chez le médecin, chez le dentiste, chez le pharmacien et hop! dans le pire des cas, on attendait une petite heure et on était sauvées! Mieux!!!! Je vous parle d’un temps où le médecin sautait lui dans sa voiture pour venir à vous, chez vous, jusque dans votre chambre vous sauver! Oh époque bénie. Il s’est passé quoi depuis bordel? Qu’est ce qui m’explique qu’aujourd’hui je dois pré-reserver ma séance en visio pour voir mon médecin qui m’expédie en 5 minutes. Y’a même pas de bouton URGence pour dire une souffrance. J’ai tellement entendu déjà le nom commun de progrès, souvent on y colle l’adjectif social mais j’ai pas du comprendre la définition de ces mots. Depuis petite, ce n’est pas le seul domaine que j’observe régresser autour de moi. Non pas que c’était mieux avant, je ne suis pas encore assez vieille pour devenir si nostalgique et même avant, l’argent commandait déjà et pourtant la santé était considérée différemment.
Oulà. L’instant d’un bref moment, j’ai voulu consulter un article statistiques sur les déserts médicaux. Je me retiens de ne pas le faire. Je fais beaucoup ça en ce moment. Je me retiens. A 17 ans, mon prof de philo, qui devait se dire que j’aimais collectionné les 9, a demandé de nous décrire en 1 mot. De préférence 1 adjectif. J’ai répondu : Désinteressée pour rester optimiste. Comment peut-on se définir en 1 mot? C’est tellement réducteur. On devrait tous avoir besoin de place et de temps pour se définir et s’observer en train de le faire. Je ne me souviens pas que l’on ai débattu de cet aspect réduction de soi à un objet qualificatif. N’empêche que je faisais déjà ça. Je ferme les yeux, je permets, je me détourne, je me retiens (beaucoup), je me met à la place de, je comprend, je périphrase… Je m’économise comme dirait le vieux dans Don Camillo. J’économise ma lucidité face au monde, aux gens, au politique, à la France, aux partis, à l’écologie, aux bons et aux méchants, aux cons et aux intellectuels, aux connasses et aux saintes féministes.
Je m’économise et ça fait mal aux dents. Et ça fait mal au ventre. Et ça me brouille et m’embrouille. J’ai coupé la télé, la radio, mon Facebook et autres réjouissances défilantes sont programmés pour ne montrer que des petits chats et des pandas (i have the dream to become a panda’s nurse) mais malgré ça, je suis au courant des atrocités, des débilités, des journées de ci et de ça, des crimes et des guerres, des lois à la con et des misères sociales. Et pourtant comment reste-il de place pour les souffrances des personnes que je rencontre chaque jour en séance, et pour Chérie et Chéri. Et pour mon arche animalière. Et moi j’ai l’esprit embrouillé et l’estomac barbouillé. Et ma rage se transforme en pus qui pulse sous ma dent.